dimanche 28 avril 2019

Asta

Jon Kalman Stefansson, 496 pages, Grasset

Présentation de l'éditeur:

Reykjavik, au début des années 50. Sigvaldi et Helga décident de nommer leur deuxième fille Ásta, d’après une grande héroïne de la littérature islandaise. Un prénom signifiant – à une lettre près – amour en islandais qui ne peut que porter chance à leur fille… Des années plus tard, Sigvaldi tombe d’une échelle et se remémore toute son existence  : il n’a pas été un père à la hauteur, et la vie d’Ásta n’a pas tenu cette promesse de bonheur.
Jón Kalman Stefánsson enjambe les époques et les pays pour nous raconter l’urgence autant que l’impossibilité d’aimer. À travers l’histoire de Sigvaldi et d’Helga puis, une génération plus tard, celle d’Ásta et de Jósef, il nous offre un superbe roman, lyrique et charnel, sur des sentiments plus grands que nous, et des vies qui s’enlisent malgré notre inlassable quête du bonheur.

Combien ce livre a fait battre mon cœur: Abandon
Commentaire spontané: Après 200 pages, j'ai renoncé. Je pense que cette lecture a souffert de venir juste après Mémorial, un récit dans lequel j'ai pu tellement bien me projeter, et dont le style m'a époustouflée. Pas le bon timing, donc; ça arrive, tant pis!

mardi 16 avril 2019

Mémorial

Cécile Wajsbrot, 212 pages, Le bruit du temps

Présentation de l'éditeur:

La narratrice de ce très émouvant récit n’a cessé de vouloir échapper à ses origines, à sa famille : un frère et une soeur (son père et sa tante) indissolublement réunis pour avoir échappé à un passé trop lourd dont ils n’ont rien dit et qui ont fini par se murer dans une étrange maladie qui s’est attaquée à leur mémoire. Elle a essayé de répondre à leur attente en édifiant la vie qu’ils n’avaient pu avoir. Elle s’est éloignée mais, à la mort de sa grand-mère, a fini par revenir vers ce qu’elle avait fui. Et elle s’est résolue à entreprendre un nouveau voyage. Cette fois pour se rapprocher de l’événement douloureux qui est à l’origine de leur exil, de cette histoire qui est aussi la sienne. Ce détour, ou ce retour, lui étant soudain apparu comme une étape indispensable pour être enfin libre de s’en aller ailleurs. 
Le livre est le simple récit de ce voyage en train — l’attente interminable sur les quais de la gare de départ, le voyage lui-même avec ses rencontres, les conversations de compartiment, le séjour dans une ville étrangère qui est pourtant aussi la sienne, celle d’où vient sa famille : Kielce, en Pologne, où eut lieu, un an après la fin de la guerre, en 1946, un terrible pogrom. Mais les petits événements qui émaillent tout voyage dans un pays inconnu dont on ignore la langue sont sans cesse enrichis de toutes les pensées qui assaillent la narratrice, des voix intérieures qui la traversent. Progressant vers ce lieu d’origine, elle ne cesse, à partir des bribes que lui ont transmises ceux qui à force d’oublier pour pouvoir vivre ont fini par tout oublier, de reconstituer ce qu’elle a pu apprendre d’un autre voyage : celui de tous ceux qui tentaient de fuir ce même pays, à l’annonce d’un malheur encore indéfini. 
Des fantômes surgissent, comme celui de cet oncle qui s’est noyé dans la rivière qui traverse la ville, celui qui aurait voulu être médecin. Dans le train, la rencontre d’une jeune femme qui vit à Oswiecim et n’a pu quitter la ville malgré le poids de l’histoire ne fait que la conforter dans l’idée que le souvenir est le pire poison. Arrivée dans la petite ville, les voix se font encore plus insistantes, comme si elle avait été irrésistiblement entraînée au pays des morts, elle y retrouve la rivière noire et ces eaux sombres, ce Styx au bord duquel un guide mystérieux lui rappelle que les leçons du passé n’ont servi à rien. Elle découvre au cimetière les quelques tombes juives qui ont échappé à la destruction. Une dernière conversation avec l’oncle disparu (car c’était lui qui l’avait guidée) la laisse engourdie de stupeur et de froid, ayant compris que « l’au-revoir » qu’elle cherchait est en réalité impossible. Elle ne peut que repartir et, revenue auprès des siens, décider de se plonger comme eux dans le sommeil de l’oubli. 

Combien ce livre a fait battre mon cœur:❤️❤️❤️❤️❤️
Commentaire spontané: Ce n'est pas un long texte, et pourtant on peut s'y perdre pendant des jours. Je me suis attardée dans ses phrases pour en voir l'éblouissante incandescence. Pour les entendre durablement résonner en moi.
Ce texte est d'une beauté sans nom...

vendredi 12 avril 2019

L'homme sans maladie


Arnon Grunberg, 264 pages, 10/18

Présentation de l'éditeur:

Samarandra Ambani, architecte zurichois d'origine indienne, mène une existence rangée, jusqu'au jour où il décroche le contrat d'un opéra à Bagdad. Lorsqu'il arrive en Irak, ce n'est pas Puccini qui l'attend mais une horde de gardes du corps, présage de la violence démesurée qui va l'aspirer. À peine remis de son séjour tourmenté, le voilà de nouveau embarqué à Dubaï pour y construire la Bibliothèque nationale. Seulement l'histoire se répète impitoyablement, et Sam découvre qu'un passeport suisse n'est pas une garantie de retour...

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️❤️
Commentaire spontané: Voilà une drôle d'histoire d'homme occidental qui se heurte à une culture à laquelle il n'est pas préparé. Ce livre a un côté kafkaïen indéniable et un humour grinçant jouissif.

dimanche 7 avril 2019

Entre les murs du ghetto de Wilno 1941-1943

Yitstkhok Rudashevski, 192 pages, L'antilope

Présentation de l'éditeur:

Enfermé dans le ghetto de Wilno, Yitskhok Rudashevski livre un témoignage poignant de la vie quotidienne et des aspirations d’un adolescent confronté à l’enfermement et aux persécutions.

Véritable « Journal d’Anne Frank », le manuscrit sera retrouvé après la guerre dans la cachette où la famille avait espéré échapper à la traque des nazis.

Ce journal se termine en avril 1943, six mois avant que Yitskhok Rudashevski soit assassiné à Ponar, le lieu d’exécution des Juifs de Wilno, le 1er octobre 1943. Son journal sera retrouvé après la guerre par sa cousine, survivante du ghetto, et confié au Yivo de New York par le grand poète et héros Avrom Sutzkever.


Extrait du journal


« Jeudi 10 décembre 1942
Est-il normal en mes meilleures années de voir cette seule ruelle, ces quelques cours encloses, étouffées ? Je voudrais crier au temps d’attendre, de cesser de courir. Je voudrais rattraper mon année passée et la garder pour plus tard, jusqu’à la nouvelle vie. Je n’éprouve pas le moindre désespoir. Aujourd’hui j’ai eu quinze ans et je vis confiant en l’avenir. Je vois devant moi du soleil, du soleil, du soleil… »
Combien ce livre a fait battre mon cœur:❤️❤️❤️❤️
Commentaire spontané: Un adolescent de 15 ans nous livre sa vie au ghetto. Il témoigne de ce qu'il voit, mais aussi de ses espoirs en l'avenir. Remarquable et bouleversant.

vendredi 5 avril 2019

La femme brouillon

Amandine Dhée, 96 pages, La Contre Allée

Présentation de l'éditeur:

« Le meilleur moyen d’ éradiquer la mère parfaite, c’ est de glandouiller. Le terme est important car il n’ appelle à aucune espèce de réalisation, il est l’ ennemi du mot concilier. Car si faire vœu d’ inutilité est déjà courageux dans notre société, pour une mère, c’ est la subversion absolue.Le jour où je refuse d’ accompagner père et bébé à un déjeuner dominical pour traîner en pyjama toute la journée, je sens que je tiens quelque chose. »

"J’ai écrit ce texte pour frayer mon propre chemin parmi les discours dominants sur la maternité. J’ai aussi voulu témoigner de mes propres contradictions, de mon ambivalence dans le rapport à la norme, la tentation d’y céder. Face à ce moment de grande fragilité et d’ immense vulnérabilité, la société continue de vouloir produire des mères parfaites. Or la mère parfaite fait partie des Grands Projets Inutiles à dénoncer absolument. Il m’a paru important de me positionner clairement en tant que féministe parce que je veux donner un éclairage politique à mon expérience intime.
J ai voulu un texte court. Plus que jamais, j’avais envie de tranchant, d’aigu, et surtout pas d'une langue enrobante ou maternante."
Amandine Dhée

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️❤️
Commentaire spontané: Un style qui nous fait osciller entre humour grinçant et émotions, je suis fan!

lundi 1 avril 2019

La nuit des Juifs-vivants

Igor Ostachowicz, 333 pages, L'antilope

Présentation de l'éditeur:

Varsovie, années 2010. Sous une trappe au fond de sa cave, un couple découvre les zombies de Juifs assassinés pendant la Deuxième Guerre mondiale. Des centaines d’ombres en guenilles sortent de sous la terre et réinvestissent leur ville lancée dans la frénésie consumériste.
La nuit des Juifs-vivants ose soulever une question refoulée : comment vivre au-dessus des cadavres des trois cent mille Juifs du ghetto de Varsovie exterminés ? Avec ce roman à l’humour féroce, l’auteur se livre au passage à une critique à la tronçonneuse de la société polonaise contemporaine.

Extrait du roman

« Et qu’est-ce que vous faites de tous ces prépuces ? je demande méfiant.
– T’inquiète pas, on ne gâche rien, mange ta soupe.
Vomir, c’est pas beau, donc je me retiens vaillamment, et lui, il rigole. C’était peut-être une plaisanterie. Mais où est-ce qu’on trouve des calamars dans les égouts ? je me demande en extirpant avec la langue des restes de fibres coincés entre mes dents. J’essaie de sourire mais mon visage se tord et je sens la salive s’accumuler.
 »

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️❤️
Commentaire spontané: Il fallait oser! Culotté, irrévérencieux, caustique, décapant, drôle, déroutant, voici pêle-mêle quelques qualificatifs pour encourager à la lecture de ce livre.