vendredi 31 juillet 2020

Une ville de papier


Olivier Hodasava, 144 pages, L'inculte

Résumé:

Etats-Unis, année trente. L’industrie automobile fait la pluie et le beau temps de l’économie américaine. Le pays, gigantesque, s’offre à des routes rectilignes qui en traversent chaque état. Les citoyens s’équipent en nouveaux modèles, le crédit marche à flot, les autoroutes fleurissent, les stations-services éclosent. Afin d’encourager ces trajets qui enrichissent géants du pétrole et adeptes du fordisme automobile, on offre à tour de bras des cartes autoroutières aux conducteurs. Et pour s’assurer qu’elles ne sont pas copiées par des concurrents, on y place des fausses villes en guise de signature invisible, des «villes de papier». Desmond Crothers, jeune cartographe, conçoit une telle carte de l’état du Maine pour Esso. Mais sa ville aura un tout autre destin : elle existera vraiment, une fois qu’un commerçant obstiné décidera de la fonder quelques années plus tard, comme pour valider cette ville imaginaire. Autour de ce monde qui prend forme, on croise des cartographes, une violoniste au destin tragique, Stephen King, des acteurs venus pour y tourner un épisode de «Twilight Zone», des amoureux qui n’ont que ce territoire pour s’épancher.

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️
Commentaire spontané:
Le sujet est original et l'enquête agréable à suivre, avec quelques rebondissements inattendus. Un bon livre pour commencer les vacances.

mardi 28 juillet 2020

Les services compétents


Iegor Gran, 304 pages, P.O.L

Ce qu'en dit l'éditeur:

Les Services compétents, ce sont les services du KGB dans les années 1960 en Union Soviétique. Le lieutenant Ivanov traque un certain Abram Tertz, pseudonyme choisi par un drôle d’écrivain qui s’échine à faire passer ses nouvelles fantastiques en Occident. Il sera identifié après six longues années d’une enquête souvent dérisoirement cocasse : de son vrai nom André Siniavski, avec sa femme, Maria Rozanova. Ce sont les parents du narrateur.

Pour écrire ce roman, Iegor Gran s’est lancé depuis plusieurs années dans un important travail de documentation. Il raconte ainsi le dégel post-stalinien. Depuis 1958 et l’affaire Pasternak, on s’interroge : quel est le bon dosage de la répression ? Siniavski est arrêté en 1965 et condamné à 7 ans de goulag. Libéré en 1971, il émigre en France en 1973. Son procès marque le début du « refroidissement brejnévien » et du mouvement dissident.
Les Services compétents, c’est donc le roman vrai et satirique de cette histoire intime et collective, écrit aujourd’hui par le fils de Siniavski, né l’année même de l’arrestation de son père. Les traîtres côtoient les dissidents comme les thuriféraires et les Tartuffes du système. De fausses pistes loufoques trompent les zélés défenseurs de l’idéal socialiste qui ont fort à faire dans leur combat. La culture occidentale s’introduit en fraude un peu partout. La dépouille de Staline est retirée de son mausolée. Gagarine reçoit en récompense de son exploit spatial une invraisemblable liste d’objets ménagers. Et une géniale absurdité contamine tout.

 

Iegor Gran est né en 1964 à Moscou sous le nom de Iegor Siniavski. Son père Andreï Siniavski, dissident soviétique, est arrêté par le KGB en 1965 et condamné à 7 ans de Goulag. Libéré, sa famille s’installe en France. Grand Prix de l’humour noir en 2003, Iegor Gran a publié 13 livres aux éditions P.O.L.



Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️❤️
Commentaire spontané:
Ce livre est servi par un remarquable travail de documentation. S'il nous offre une incroyable plongée dans l'univers du renseignent soviétique, il nous parle aussi de la vie des citoyens ordinaires. On comprend leur endoctrinement, leur impossibilité de penser en dehors du système. L'auteur nous permet de comprendre aussi, pour certains, leur désobéissance comme acte de résistance. Comme dans tous les livres de Iegor Gran, le ton est drôle, ce qui en rend le propos d'autant plus terrible…

samedi 25 juillet 2020

Sur la scène intérieure


  Marcel Cohen, 160 pages, Folio

Ce qu'en dit l'éditeur:

«Je sais bien que les objets familiers sont synonymes d’aveuglement : nous ne les regardons plus et ils ne disent que la force de l'habitude. Mais le coquetier, dans le placard à vaisselle, et ne serait-ce que de façon très épisodique, a eu bien des occasions de susciter quelques bouffées de tendresse à l’égard de Marie. Je me dis qu’on ne conserve pas un objet aussi modeste, et aussi défraîchi, pendant soixante-dix ans sans de sérieuses raisons.»
Marcel Cohen.

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️
Commentaire spontané:
Sur les conseils de mon libraire - qui commence à bien me connaître! -, j'ai découvert ce petit bijou de Marcel Cohen, auteur que je n'avais jamais lu.
Sur la scène intérieure est typiquement un livre dont la portée ne m'aurait pas frappée si je l'avais ouvert ne serait-ce que dix ans auparavant. Oui, je serais passée totalement à côté, je l'avoue humblement. Je n'aurais pas saisi l'importance de cette plongée dans les menus détails de la vie de ceux qui nous ont quittés (de manière aussi soudaine que dramatique pour Marcel Cohen), un univers de souvenirs minuscules qui prend valeur de fondation. C'est à un voyage de ce type auquel nous sommes conviés.
En refermant ce livre, j'ai soudain eu envie de me procurer le plus beau cahier qui soit pour y consigner les faits concernant mes propres grands-parents…

lundi 20 juillet 2020

Affaires personnelles

Agata Tuszynska, 448 pages, L'antilope

Résumé éditeur:

Qui s’en souvient ? En 1968, la Pologne a de nouveau été traversée par une campagne antisémite, cette fois, orchestrée par le pouvoir communiste.
Toute une génération – ou presque –, celle qui a environ vingt ans à ce moment-là, se retrouve obligée de partir, n’emportant que très peu d’« affaires personnelles ».
Cinquante ans plus tard, Agata Tuszyńska va à la rencontre de celles et de ceux qui ont dû quitter leur pays et se sont exilés à travers le monde. En réunissant d’émouvants témoignages, elle nous fait entrer au cœur de cette génération de Juifs, souvent enfants de la nomenklatura communiste, ignorant pour la plupart leur judéité et le passé de leurs parents.

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️❤️
Commentaire spontané: 
Parfois, un livre remplace des années de thérapie. C'est exactement l'effet que ce livre m'a fait. Il m'a apporté les clés d'un monde que je croyais ne pas connaître. Et pourtant si: depuis toujours, tout était déjà là, sous mes yeux, mais personne n'avait su me l'expliquer. Je n'ai pas de mots pour exprimer ma reconnaissance à Agata Tuszynska pour ce formidable travail de mémoire, et aux éditeurs de l'Antilope sans qui certains francophones resteraient suspendus à leur douleur. 

dimanche 12 juillet 2020

L'ange et le violoncelle


Claire Renaud, Fleuve Eds, 192 pages

Présentation:

" Quel charme ! Une déclaration d'amour sur le pouvoir des mots. " Anne-Laure Bondoux, auteure de Et je danse, aussi

"Une relation magnifique sur l'apprentissage de la paternité." Avantages

"Ce roman c'est comme une caresse, il vous emporte doucement et vous emplit de bonheur parce que c'est beau, simple, touchant, bouleversant de voir la transformation de Joseph au contact de ce petit être." Sandrine Dantard, Fnac Grenoble

Joseph travaille au service des objets trouvés de la gare de l'Est. Plutôt taiseux et renfermé, il occupe ses journées à rêver la vie des autres et à ne pas vivre la sienne. Un soir, tandis qu'il fait la tournée des trains arrêtés au garage, il est attiré par des bruits inhabituels... et découvre sous un siège un bébé abandonné dans un couffin. Touché plus qu'il ne voudrait l'être, il se résout à le ramener chez lui. Juste pour une nuit. Mais le lendemain, alors qu'il s'apprête à confier l'enfant aux services sociaux, l'émotion l'envahit. C'est une évidence : il ne peut pas le laisser ici.
Alors, pour la première fois, une histoire entre dans la vie de Joseph.

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️❤️
Commentaire spontané: 
Ados, adultes, voilà un livre rassembleur susceptible d'enchanter toute la famille. 
Il y est question d'un bébé trouvé dans un train,  d'un réceptionniste taiseux qui travaille aux objets trouvés, et de bien d'autres choses encore. Qui est l'ange? Pourquoi le violoncelle? Les réponses ont une portée plus profonde qu'il n'y paraît.
Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Amélie Poulain... parce que ce livre m'a fait un bien fou!
Une excellente lecture pour  commencer l'été.

mardi 7 juillet 2020

Turbulences


David Szalay, Albin Michel, 198 pages

Présentation par l'éditeur:

« Un livre magistral, d'une intensité saisissante. »
The Washington Post

Douze vols, douze voyageurs en transit à travers la planète, douze destins individuels liés les uns aux autres. Après Ce qu'est l'homme, finaliste du Man Booker Prize, l'écrivain britannique David Szalay nous emmène aux quatre coins du monde, explorant ce lieu de passage par excellence qu'est l'aéroport. De Londres à Madrid, de Dakar à São Paolo, à Toronto et à Doha, ce sont des fragments d'existence qui tissent le récit pour finalement se rejoindre. Avec une impressionnante économie de moyens et une grande subtilité, Szalay en saisit l'essence, captant chez chacun de ces êtres, en suspens à des milliers de mètres d'altitude, les zones de turbulences auxquelles la vie les expose.
En offrant une vision panoramique en perpétuel mouvement, Turbulences esquisse un portrait de l'humanité en temps de crise, et nous interroge sur notre place et notre rapport aux autres dans ce vaste réseau interconnecté qu'est le monde d'aujourd'hui.

Rabat bio

David Szalay, né en 1974 à Montréal et élevé à Londres, vit à Budapest. Il a été sélectionné par Granta comme l'un des romanciers britanniques les plus talentueux de sa génération. Son précédent roman, Ce qu'est l'homme, traduit dans une quinzaine de langues, a été récompensé par le Plimpton Prize for Fiction et le Gordon Burn Prize. Turbulences, qui a rencontré un immense succès critique en Grande-Bretagne et aux États-Unis, confirme sa singularité sur la scène littéraire anglo-saxonne.


Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️
Commentaire spontané:
Un livre malin qui aborde des tas de thèmes sociétaux en un temps record, mais à mon avis, un livre vite lu et vite oublié.
Sur le même principe, l'auteur aurait pu développer un peu plus les personnages et leurs situations. Le parti pris, qui était sans doute de montrer que la vie moderne aspire les évènements dans son vortex insatiable, qu'il se passe sans cesse quelque chose qui s'imbrique dans autre chose, je le comprends, mais il m'est vraiment resté un goût de trop peu en refermant ce livre, c'est pourquoi j'ai envie de dire à David Szalay que sur ce coup-là, il a été un peu léger.

dimanche 5 juillet 2020

L'aveuglement


 José Saramago, Prix Nobel de littérature, Points, 384 pages

Présentation:

" José Saramago nous raconte qu'il faut parfois devenir aveugle pour réussir à voir la face cachée et essentielle des choses. Un beau livre plein d'espoir. "
Télérama

Un homme devient soudainement aveugle. C'est le début d'une épidémie qui se propage à une vitesse fulgurante à travers tout le pays. Mis en quarantaine, privés de tout repère, les hordes d'aveugles tentent de survivre à n'importe quel prix. Seule une femme n'a pas été frappée par la " blancheur lumineuse ". Saura-t-elle les guider hors de ces ténèbres désertées par l'humanité ?

Né en 1922 et décédé en 2010, José Saramago, écrivain portugais, a reçu le prix Nobel de littérature en 1998. Son œuvre est traduite dans le monde entier. Ses romans sont disponibles chez Points.
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich.

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️❤️❤️
Commentaire spontané:

J'ai lu ce livre dans le cadre d'un club de lecture.

Après plusieurs livres  d'affilée sur la période nazie, je pensais laisser de côté le thème des camps en m'attaquant à L'aveuglement, mais ô surprise, ce livre m'a replongée directement dans l'univers concentrationnaire et dans sa brutalité déshumanisée.
Les personnages ne sont jamais nommés; en cela, ils sont d'autant plus représentatifs de toute l'humanité en souffrance.
Dans ce livre, l'auteur nous montre avec brio que quand un rouage de notre mécanique quotidienne se grippe, ce sont tous les principes acquis au cours de siècles de civilisation qui sont remis en cause. Cela fait froid dans le dos…
Par cette longue allégorie, l'auteur nous pousse à nous demander si nous-mêmes nous ne sommes pas atteints par le mal qu'il décrit. En effet, nos yeux intacts voient-ils vraiment ce qu'ils devraient voir? Et soudain, de réaliser que répondre à cette question est une gageure, tant le champ des explorations est vaste. Chacun peut y aller de sa bataille personnelle (pour ma part, je trouve que l'on est aveugle aux souffrances animales, par exemple).
Un livre dont je ne regrette absolument pas la lecture et qui rentre directement dans ma bibliothèque idéale. (Yes!!!)





jeudi 2 juillet 2020

Le détour

 Luce d'Eramo, Le tripode, 419 pages

Présentation de l'éditeur:

"Peut-être un chef-d'œuvre absolu" selon Goliarda Sapienza, un nouveau classique à ranger aux côtés des livres de Charlotte Delbo et de Ruth Klüger.
Le destin stupéfiant d'une adolescente idéaliste faisant volontairement l'expérience des camps nazis.
Publié pour la première fois en 1979, Le Détour est le fruit de vingt-cinq années d'écriture. Il relate le parcours de Luce d'Eramo qui, élevée dans une famille de dignitaires fascistes, partit de son propre chef en Allemagne en 1944 pour intégrer un Lager, un camp de travail nazi. S'il demeure méconnu en France, Le Détour rencontra immédiatement en Italie un immense succès et connaît depuis quelques années une nouvelle vague de traductions dans le monde entier. La force et l'acuité de ce texte – qui traque aussi sans complaisance les travestissements de la mémoire – le rattachent de fait aux plus grands témoignages de femmes sur l'expérience des camps, tels ceux de Charlotte Delbo et de Ruth Klüger.
Nous devons la découverte de ce livre à ce passage des Carnets de Goliarda Sapienza : " Fini de lire Le Détour de Luce d'Eramo, assurément le plus beau livre de ces dix dernières années et peut-être un chef-d'œuvre absolu ; cela m'obligera à relire Si c'est un homme et Le Dernier des Justes, pour vérifier ce que je soupçonne. C'est-à-dire que le livre de Luce est le plus actuel sur ce sujet, le plus durement approfondi dans la démonstration de l'aventure nazie, le plus polémique et courageux. "
L'originalité du Détour tient de fait à ce que vécut Luce d'Eramo durant la Deuxième Guerre mondiale mais aussi au difficile processus de remémoration dans lequel elle s'engagea par la suite, et dont le livre témoigne. Les textes qui composent ce récit ont été écrits successivement en 1953, 1954, 1961, 1975 et 1977. Ils sont présentés dans l'ordre chronologique de leur rédaction, et non dans celui des événements qu'ils décrivent. La confusion qui en découle parfois répond à celle que connut Luce d'Eramo, aux esquives de sa mémoire et aux détours qu'elle emprunta avant de retrouver la cohérence de son histoire.
À sa publication en Italie, en 1979, le livre rencontra des centaines de milliers de lecteurs. En se plongeant dans ce texte, il revient au lecteur francophone de vivre à son tour – au-delà de l'histoire stupéfiante d'une adolescente idéaliste faisant volontairement l'expérience des camps nazis – l'expérience d'une femme en quête de sa vérité.



Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️
Commentaire spontané: 
Ecrites à des années d'écart, les différentes parties de ce long témoignage n'ont pas résonné en moi de la même façon. Ainsi, j'ai lu comme sous hypnose Sous les pierres et Arrivée dans le Troisième Reich, qui sont les deux parties centrales. En revanche, la première partie (Evasion des lager) a mobilisé toutes mes connaissances de l'univers concentrationnaire et de la mécanique nazie, car de nombreux points sont passés sous silence. L'auteure ne nous tient pas la main pour nous expliquer de quoi il retourne, c'est le moins que l'on puisse dire. Tout est haché, on a l'impression de sauter du coq à l'âne. En tant que lectrice, je me suis sentie comme une boule de flipper: bousculée et désorientée. L'auteure, qui a expérimenté dans sa chair cette désorientation, en rend-elle compte dans son écriture, même inconsciemment? Si l'on en croit la dernière partie, La distorsion, il semble judicieux d'envisager les choses ainsi. Concernant La distorsion, si j'y ai trouvé matière à bien des réflexions passionnantes (notamment sur la sélection inconsciente des souvenirs - mettre en lumière tel souvenir, délaissant tout autre peu flatteur dans les limbes de la mémoire), j'avoue que c'est celle qui m'a le moins séduite.
De manière générale, ce témoignage est exceptionnel, tant par le fond que par la forme inédite qu'il a pris.