lundi 29 juillet 2019

Dis-moi ma vie


Pierre Seghers, 80 pages, éditions Bruno Doucey

Le mot de l’éditeur : D’où vient la joie que j’éprouve à publier Dis-moi, ma vie  ? D’abord, d’une promesse tenue : celle de faire revivre un livre que Pierre Seghers avait publié en Belgique en 1972 et qui était passé trop inaperçu en France. Ensuite, du sentiment de cheminer, par-delà l’espace et le temps, sur les traces d’un poète-éditeur « fou, fou, fou de poésie ». Dans ces pages somptueuses, Seghers se livre à un méticuleux travail d’introspection, s’adressant à sa vie, cette « émigrée » proche et lointaine, cette promise qu’il a « tenue dans [ses] mains d’homme ». Le fleuve de ses mots traverse les paysages de la mémoire, longe les gouffres d’un parcours qui connut souvent des heures sombres, retrouve les points cardinaux d’une existence entièrement vouée à la poésie. Et l’on ressort de ce livre avec le sentiment d’avoir désormais un ami de plus sur la terre.
Extrait :
« Je suis celui
d’un seul moment qui durera toute la vie
Éclair, éclat, le miroitement d’un instant
Un ricochet sur une autre peau,
le rebond d’un galet qu’emporte
un torrent, le temps des lèvres sur le temps. »
Collection : En résistance

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️❤️
Commentaire spontané: Renouer avec la poésie, quel délice! Je suis ravie que cela se soit fait avec ce recueil de Pierre Seghers, éditeur que j'appréciais beaucoup. Pourquoi ne plus lire de poésie alors que j'en avais l'habitude étant adolescente? Un quotidien chronométré me semble être la meilleure explication. Car lire un poème, c'est s'y pencher une fois, puis deux, puis trois, le ressasser jusqu'à plus soif, tout le contraire de l'efficacité quasi taylorienne édictée par notre mode de vie et que l'on s'obstine à rechercher dans la moindre de nos actions. Et pourtant, tant de vérités transparaissent dans ce recueil. A la lecture de ces poèmes, la vérité de l'un ne sera pas celle de l'autre, mais une chose est certaine, chacun y trouvera une forme de clairvoyance.



dimanche 28 juillet 2019

Attendez-moi métro République

Hanan Ayalti, 448 pages, éditons de l'Antilope

Présentation de l'éditeur:

Les Sokolovski, immigrés juifs polonais à Paris, sont pris dans la tourmente de l’Occupation. Le père voit sa boutique aryanisée.Le fils Jacques, résistant communiste, participe à des attentats. Recherché par la Gestapo, il se cache. Au-delà de l’énigme policière, ce roman fait découvrir une société d’immigrés, et le regard d’un écrivain immigré sur la société française.

Écrit en 1943 en Uruguay, Attendez-moi métro République a permis aux Juifs d’Amérique de découvrir les conditions de vie en France occupée. C’est le premier roman de Hanan Ayalti traduit en français.



Extrait du roman


« — Dis-moi, Jacques, c’est quoi exactement les Juifs ? Pourquoi on les persécute plus que les autres ?
Jacques ne répondit pas tout de suite. Que pouvait-il dire. Il se rappela sa première conversation avec Germaine sur ce sujet. Il y a des années, quand la France était libre, bien avant la tourmente actuelle. Elle ne lui avait pas accordé d’importance, se contentant de faire remarquer :
— Juif ? Mais tu parles français comme tout le monde ! »


Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️
Commentaire spontané: Une histoire assez classique pour qui est friand de littérature sur la période 39-45, mais qui fonctionne bien. Des passages très instructifs sur les différentes populations juives dans le Paris de cette époque (nouveaux arrivants vs Juifs du cru, Juifs de l'Est vs Juifs français, Juifs intégrés vs Juifs religieux, Juifs du Pletzl vs Juifs des beaux quartiers, etc.). Plusieurs pages propices à de belles réflexions. Par exemple, les pages 207-208: à partir d'une expression entendue par le jeune Jacques au lycée ("le petit Juif polonais"), l'auteur questionne l'identité juive d'une manière ironique.

lundi 15 juillet 2019

Les tendres plaintes

Yôko Ogawa, Babel, 256 pages

Présentation de l'éditeur:

Ruriko est calligraphe. Fuyant la brûlure des infidélités de son mari, elle part s'installer seule en pleine montagne, dans le chalet de ses parents. Elle rencontre Nitta, pianiste reconverti dans la fabrication de clavecins. L'histoire simple, intense et profonde d'une femme en crise entre deux amours, entre deux vies. Sur l'indicible solitude des êtres et leurs relations fugitives, un roman riche en mystère où s'épanouit tout l'art d'Ogawa.

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️
Commentaire spontané: J'aime la façon si particulière qu'a Yôko Ogawa de raconter les histoires. C'est un peu comme écouter une musique exotique : ça m'envahit la tête, et bientôt ça me berce, ça me calme. Chez cette auteure, le moindre aspect du quotidien revêt un caractère unique et essentiel, car elle réussit à en faire un micro-événement. Chacune de ses phrases nous fait voyager, non par ce qu'elle énonce, mais par la façon si singulière dont elle l'énonce.

vendredi 12 juillet 2019

Karoo

Steve Tesich, Monsieur Toussaint Louverture, 608 pages

Présentation de l'éditeur:

Achevé quelques jours avant la mort de Steve Tesich [1942-1996], Karoo est le chant du cygne d’un auteur hors norme. Ce roman est l’odyssée d’un riche consultant en scénario dans la cinquantaine, Saul « Doc » Karoo, gros fumeur et alcoolique, écrivaillon sans talent séparé de sa femme et traînant plusieurs tares émotionnelles. En tant que script doctor pour hollywood, Saul Karoo mutile et «sauve» le travail des autres. En tant qu’homme, il applique le même genre de contrôle sournois à sa vie privée et se délecte de nombreuses névroses très particulières: son incapacité à se saouler quelle que soit la quantité d’alcool absorbée, sa fuite désespérée devant toute forme d’intimité, ou encore son inaptitude à maintenir à flot sa propre subjectivité. Même s’il le voulait, il ne pourrait pas faire les choses correctement, et la plupart du temps, il ne le veut pas. Jusqu’à ce qu’une occasion unique se présente à lui: en visionnant un film, il fait une découverte qui l’incite à prendre des mesures extravagantes pour essayer, une fois pour toutes, de se racheter. Si Karoo est bien l’ambitieux portrait d’un homme sans cœur et à l’esprit tordu, c’est aussi un pur joyau qui raconte une chute vertigineuse avec un humour corrosif. C’est cynique. C’est sans pitié. C’est terriblement remuant. C’est à la fois Roth et Easton Ellis, Richard Russo et Saul Bellow.

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️❤️
Commentaire spontané: Excellente surprise que ce gros pavé! L'histoire nous fait entrevoir notre vie comme un  possible scenario de film que l'on manipulerait à volonté. Mais la fin nous montre que cette vision de la vie n'est qu'illusion. Un grand moment de lecture! Beaucoup de pistes de réflexion (sur la paternité, le pouvoir, la réussite, le statut social, etc.). Un roman ambitieux et passionnant qui se goûte lentement pour en découvrir toutes les saveurs.