vendredi 30 avril 2021

L'anomalie

 

Hervé Le Tellier, Gallimard, La blanche, 336 pages


Présentation:

«Il est une chose admirable qui surpasse toujours la connaissance, l’intelligence, et même le génie, c’est l’incompréhension.»
En juin 2021, un événement insensé bouleverse les vies de centaines d’hommes et de femmes, tous passagers d’un vol Paris-New York. Parmi eux : Blake, père de famille respectable et néanmoins tueur à gages ; Slimboy, pop star nigériane, las de vivre dans le mensonge ; Joanna, redoutable avocate rattrapée par ses failles ; ou encore Victor Miesel, écrivain confidentiel soudain devenu culte.
Tous croyaient avoir une vie secrète. Nul n’imaginait à quel point c’était vrai.
Roman virtuose où la logique rencontre le magique, L’anomalie explore cette part de nous-mêmes qui nous échappe.

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️❤️

Commentaire spontané:

Eh bien, cela faisait longtemps que je n'avais pas lu un Goncourt avec une intrigue qui décoiffe autant -d'ailleurs cela faisait longtemps que je n'avais pas lu un Goncourt tout court, je crois. Excellente surprise, donc, tant du point de vue de l'écriture que du propos.

mercredi 21 avril 2021

La fatigue du matériau

 

Marek Sindelka, éditions des Syrtes, 230 pages

Traduit du tchèque par Christine Laferrière

Présentation:

Deux jeunes frères fuient clandestinement leur pays, après la disparition de leurs parents dans un bombardement. Ils arrivent séparément en Europe où ils ont prévu de se retrouver. Ce sont alors deux périples qu'entreprend le lecteur dans ce récit court, intense et haletant, au gré des épreuves que traversent les deux frères, dans l'espoir de se voir accorder un nouveau droit a? l'existence. Il faut fuir et se cacher, trouver a? manger, tenter de se repérer, avancer. Le monde se révèle à travers le prisme de l'angoisse, nous faisant vivre une véritable expérience physique et humaine.

La Fatigue du matériau est le roman de la migration, une géographie de la peur qui nous exhorte a? nous mettre dans la peau d'un migrant. Le lecteur s'approprie le désespoir, le froid et la faim. Mus par la force du lien fraternel et par la volonté de ne jamais se laisser humilier, Amir et son frère doivent tenir malgré la « fatigue du matériau », c'est-à-dire l'usure extrême du corps. Un puissant remède contre la deshumanisation.
Ne? en 1984, Marek Sindelka est l'un des auteurs tchèques les plus remarqués de sa génération. Il s'est distingue dès 2005 par sa poésie. La Fatigue du matériau a reçu le prix Magnesia Litera en République tchèque (2017). Il a été traduit dans de nombreuses langues.

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️

Commentaire spontané: 

J'ai été malmenée par l'âpreté de cette longue errance, par ses chutes et ses impasses. La narration en rend très bien compte. Elle arrive à nous perdre comme sont perdus les deux héros. Une expérience de lecture qui m'a secouée.

A noter: Le chapitre 17 à ne rater sous aucun prétexte tant il est époustouflant. L'auteur y décrit le travailleur désincarné, réduit en esclavage par la machine, d'une manière implacable et glaçante.

mardi 13 avril 2021

L'ami arménien

 

Andréï Makine, Grasset, 216 pages

Présentation:

A travers l’histoire d’une amitié adolescente, Makine révèle dans ce véritable bijou de littérature classique un épisode inoubliable de sa jeunesse.
Le narrateur, treize ans, vit dans un orphelinat de Sibérie à l’époque de l’empire soviétique finissant. Dans la cour de l’école, il prend la défense de Vardan, un adolescent que sa  pureté, sa maturité et sa fragilité désignent aux brutes comme  bouc-émissaire idéal. Il raccompagne chez lui son ami, dans le quartier dit du « Bout du diable » peuplé d’anciens prisonniers, d’aventuriers fourbus, de déracinés égarés «qui n’ont pour biographie que la géographie de leurs errances. »
Il est accueilli là par une petite communauté de familles arméniennes venues soulager le sort de leurs proches transférés et emprisonnés en ce lieu, à 5 000 kilomètres de leur Caucase natal, en attente de jugement pour « subversion séparatiste et complot anti-soviétique » parce qu’ils avaient créé  une organisation clandestine se battant pour l’indépendance de l’Arménie.
De magnifiques figures se détachent de ce petit « royaume d’Arménie » miniature : la mère de Vardan, Chamiram ; la sœur de Vardan, Gulizar, belle comme une princesse du Caucase qui enflamme tous les cœurs mais ne vit que dans la dévotion à son mari emprisonné ; Sarven, le vieux sage de la communauté…
Un adolescent ramassant sur une voie de chemin de fer une vieille prostituée avinée qu’il protège avec délicatesse, une brute déportée couvant au camp un oiseau blessé qui finira par s’envoler au-dessus des barbelés : autant d’hommages à ces « copeaux humains, vies sacrifiées sous la hache des faiseurs de l’Histoire. »
Le narrateur, garde du corps de Vardan, devient le sentinelle de sa vie menacée, car l’adolescent souffre de la « maladie arménienne » qui menace de l’emporter, et voilà que de proche en proche, le narrateur se trouve à son tour menacé et incarcéré, quand le creusement d’un tunnel pour une chasse au trésor, qu’il prenait pour un jeu d’enfants, est soupçonné par le régime d’être une participation active à une tentative d’évasion…
Ce magnifique roman convoque une double nostalgie : celle de cette petite communauté arménienne pour son pays natal, et celle de l’auteur pour son ami disparu lorsqu’il revient en épilogue du livre, des décennies plus tard, exhumer les vestiges du passé dans cette grande ville sibérienne aux quartiers miséreux qui abritaient, derrière leurs remparts, l’antichambre des camps.


Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️❤️❤️

Commentaire spontané:

Quel immense écrivain!

Comme c'est beau! Comme c'est profond! Voilà un texte bouleversant tant par ce que ça raconte que par la façon dont ça nous est raconté.

lundi 12 avril 2021

Le Golem

 

Isaac Bashevis Singer, L'école des loisirs, Medium poche, 88 pages

Présentation:

Au seizième siècle, le rabbin Leib veille sur la communauté juive de Prague. Celle-ci est alors souvent persécutée et accusée de tous les maux. Ainsi, lorsque le banquier Eliezer Polner est accusé à tort par Jan Bratislawski, un comte désargenté, d' avoir enlevé et assassiné sa fille parce que celui-ci a refusé de lui prêter de l'argent, le rabbin Leib veut lui venir en aide. Il reçoit la visite d'un mystérieux inconnu qui lui donne le pouvoir de fabriquer un géant d' argile doué de vie : le golem. Ce golem, à la force fantastique, doit lui obéir en tout point, afin de prouver l' innocence d Eliezer. Mais, bientôt, la créature échappe à son concepteur. Le golem devient de plus en plus humain, et il va falloir trouver un moyen de mettre fin à ses agissements incontrôlés

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️❤️❤️

Commentaire spontané: Relecture

Je ne me lasse pas de le relire…


samedi 10 avril 2021

Balance ta haine

 

Ludovic-Hermann Wanda, L'antilope, 318 pages


Présentation:

À l’heure où l’autocensure est de mise, Ludovic-Hermann Wanda a choisi de laisser s’exprimer sans fard tous ses protagonistes. Y compris le diable qui est en chacun.
Un roman politiquement très incorrect. Et très humain.

Autant le dire clairement, Balance ta haine n’hésite à balancer la haine.
Frédéric, jeune Black des banlieues devenu juif, est un ancien dealer qui, à sa sortie de prison, enseigne la maîtrise de la langue et collectionne les conquêtes féminines. Sûr d’être un modèle, il n’en revient pas d’être traité de « serial baiseur ». Une place peu enviable dans cette société où la haine est présente partout. Ici personnalisée par un diable, elle se glisse dans la tête de tous les personnages, elle les guide et les entraîne à agir. Que peut faire
Frédéric face aux discours de haine ? Il décide d’aller chercher du côté de ses propres racines.

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️

Commentaire spontané:

Voilà un auteur bien en verve et qui incarne parfaitement le combat qu'il porte: la maîtrise de la langue française, indispensable au débat contradictoire et à la connaissance de l'autre. Petite mise en garde cependant: il frappe fort là où ça fait mal. Les âmes sensibles doivent donc savoir dans quoi elles s'engagent en ouvrant ce livre: on y parle d'assassinat d'enfants, de sexe, de religion et de tout un tas d'autres sujets sensibles très crûment.

Ce style décapant à outrance me laisse habituellement de marbre, car l'incorrigible romantique que je suis n'y trouve pas son compte. J'ai néanmoins réussi à aller jusqu'au bout avec un intérêt croissant, et c'est pourquoi je dis chapeau - une remarque de circonstance car il en est souvent question dans ce texte, soit dit en passant. ;-)

jeudi 8 avril 2021

Etoiles vagabondes

 

Sholem Aleykhem, Le Tripode, 640 pages

Traduction: Jean Spector

Présentation:

Leybl Rafalowitch, treize ans, est le fils de l'homme le plus riche du village. Reyzl Spivak, quatorze ans, est la fille d'un pauvre chantre. Nous sommes à l'aube du vingtième siècle, dans une petite bourgade juive aux confins de l'Europe. Ces deux-là vont tomber amoureux, ne croyez-vous pas ? Mais nul n'aurait prédit qu'une rocambolesque troupe de théâtre itinérante allait précipiter leur romance dans une aventure hors du commun. 

Avec ce roman inexplicablement resté inédit jusqu'à nos jours, Sholem Aleykhem révèle son immense talent de conteur. Avec la grâce d'un Chagall, la truculence d'un Chaplin et la verve d'un Twain, il honore l'art et la vie des gens de peu, irrésistibles, pittoresques, pétris d'humanité et d'humour face à la fatalité. Car "les étoiles ne tombent pas, elles vagabondent..."

Jean Spector est lauréat du Prix SGDL Révélation de traduction 2020 pour sa traduction de Étoiles vagabondes.

La couverture a été réalisée par l'artiste Brecht Evens. 

 

L’Auteur

"Que mon nom ne soit associé qu'avec des rires ou ne soit pas célébré du tout."

Né en Ukraine en 1859, Sholem Aleykhem est une figure majeure de la littérature européenne, tout en restant méconnu en France. Se désignant lui-même comme un Luftmensch (littéralement un homme de l'air, soit l'opposé d'un matérialiste), populaire et enchanteur, il est l'auteur d'une œuvre prolifique. Il nous a légué des personnages devenus universels et a su décrire avec tendresse et humour le monde bigarré des communautés juives de l'Europe de l'Est. Installé à New York à partir de 1905 pour fuir les pogroms russes, il y fut considéré comme le Mark Twain juif. Décédé en 1916, ses funérailles restent parmi les plus grandioses de l'histoire de New York. 

 

Le Traducteur

Né en 1937 au sein d'une famille juive immigrée de Pologne, Jean Spector a, pour ainsi dire, tété le yiddish. Après avoir suivi des études d'anglais puis occupé divers emplois dans le commerce, il "monte" à Paris. Pendant près de quinze ans, il y tient un club de jazz. Parallèlement, il retrouve auprès d'intellectuels, dont Rachel Ertel, l'amour de sa langue maternelle. Depuis, il consacre avec une générosité infaillible et une érudition fougueuse toute son énergie à l'enseignement du yiddish et à la traduction. 

Combien ce livre a fait battre mon cœur: ❤️❤️❤️❤️❤️

Commentaire spontané:

Mais quelle odyssée incroyable que celle de ces deux jeunes gens et de toute cette clique hétéroclite! D'un rebondissement à l'autre, on espère que nos deux tourtereaux  arriveront à se retrouver.

Je mesure toute l'intelligence et l'énergie que l'auteur a déployées pour incarner ces personnages, pour défendre et croiser leurs destins de façon convaincante au fil de ces 600 pages, et je suis soufflée par tant de talent. Cela rend humble.