jeudi 20 octobre 2022

Manuscrit zéro

 

Yoko Ogawa, Babel, 240 pages

Traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle

De quoi s'agit-il ?

Une forêt profonde où prolifèrent des mousses délicates et délicieuses, une maison d'enfance impossible à décrire, une fête d'école où il s'agit de se faire passer pour une mère d'élève, un concours de pleurs d'enfants ou l'étrange destinée d'un touriste en retard... Alors que Yôko Ogawa travaille à un nouveau projet, elle note au jour le jour ce qui compose son quotidien fictionnel. À moins qu'il ne s'agisse de l'inverse : tissant et conjuguant les infuences et les figures qui soudain l'interpellent - qu'elles soient issues de l'instant ou des tourbillons de sa mémoire, de rencontres bien réelles ou d'émotions enfouies -, Yôko Ogawa consigne la multitude d'histoires qui peuplent son imaginaire pour tenter de trouver dans ce foisonnement d'images la tonalité de son nouveau roman.

Ainsi les courts récits s'enchaînent, formant une mosaïque temporelle au sein de laquelle les individus, les lieux ou les situations chavirent, pour rejoindre sous la plume de la grande romancière japonaise l'univers si singulier de ses personnages.

Impressions de lecture:

Indicible bonheur de retrouver l'univers étrange de cette auteure qui, sans en avoir l'air, nous entraîne dans ses vagabondages intérieurs. 💚💚💚

Sur la scène intérieure

 

Marcel Cohen, Folio, 160 pages

De quoi s'agit-il ?

"Je sais bien que les objets familiers sont synonymes d'aveuglement : nous ne les regardons plus et ils ne disent que la force de l'habitude. Mais le coquetier, dans le placard à vaisselle, et ne serait-ce que de façon très épisodique, a eu bien des occasions de susciter quelques bouffées de tendresse à l'égard de Marie. Je me dis qu'on ne conserve pas un objet aussi modeste, et aussi défraîchi, pendant soixante-dix ans sans de sérieuses raisons." Marcel Cohen.

Impressions de lecture:

Relecture

J'ai relu ce livre dans le cadre d'un club littéraire.

L'émotion a été aussi forte, voire plus forte, qu'à la première lecture. Un récit poignant et universel. 

💔💔💔

Maman pour le dîner

 

Shalom Auslander, Belfond, 244 pages

Tarduit de l'américain par Catherine Gibert

De quoi s'agit-il?

Quinze ans après l'immense succès de La Lamentation du prépuce, Shalom Auslander fait un retour fracassant avec un roman encore plus drôle et plus iconoclaste. Un livre tout en contrastes, où derrière l'outrance se dévoile une émouvante réflexion sur le poids de nos héritages, sur ce que l'on doit aux siens et ce que l'on se doit à soi-même.


Éditeur de son état, Septième Seltzer coule des jours heureux à New York avec sa femme et leur fille. Jusqu'au jour où son frère aîné l'appelle pour lui annoncer la mort de leur mère, qu'il n'a pas revue depuis des années.

Ce n'est pas tant que Septième soit effondré, – sa mère était un monstre d'égoïsme et de méchanceté –, mais les Seltzer appartiennent à la communauté cannibale des États-Unis et, selon la tradition, les enfants doivent manger le corps de leur mère au cours d'un repas de fête.

Une coutume aussi ridicule qu'archaïque à laquelle Septième refuse de se plier. Mais est-ce aussi simple ? Entre les retrouvailles avec ses frères et sa sœur et le difficile retour dans la maison de son enfance, Septième va se voir soudain confronté à son histoire et à sa culpabilité, et comprendre qu'on n'échappe pas si facilement à son héritage...

Impressions de lecture:

Les remarques toujours aussi corrosives et pertinentes parsèment le texte. 👍👍👍

Robert De Niro, le Mossad et moi

 

Paule Darmon, L'antilope, 256 pages

De quoi s'agit-il ?

La scénariste Dora Bessis est prête à tout, en cette année 1987, pour monter un film sur Eli Cohen, l’espion du Mossad qui, dans les années 1960, a infiltré les plus hautes sphères du pouvoir syrien, avant d’être démasqué et pendu à Damas en 1965. Dora le sait déjà, son film s’appellera Le loup de Damas et sera interprété par Robert De Niro dans le rôle de l’espion.

Impressions de lecture :

Un roman irrésistible ! J'aimerais que l'auteure nous en délivre un deuxième très vite. 👏👏👏

jeudi 22 septembre 2022

Notre langue d'intérieur

 

Talila, L'antilopoche, 128 pages

Présentation:

« J’ai longtemps pensé que le yiddish était une langue d’intérieur, comme des chaussons ou une robe de chambre. »
À travers des réminiscences du Paris de l’après-guerre, Talila évoque son enfance de fille d’immigrés juifs polonais qui ont choisi de vivre malgré la perte des leurs dans le Génocide. Elle rend hommage à des gens simples, tournés vers l’avenir, pleins d’énergie et porteurs d’une langue — le yiddish — à offrir à leurs enfants.
Elle dépeint l’atelier de confection de son père, les déjeuners du dimanche autour de la table du salon, les cris, les disputes, les pleurs, les rires.
Ces textes d’une profonde humanité ont accompagné ses récitals et les accompagnent encore.
En 2011, ils ont été publiés aux éditions Naïve. Talila ajoute ici une dizaine d’inédits.

Commentaire :

Lu d'une traite ! J'ai vraiment apprécié la vivacité de l'écriture.  L'auteure nous livre des tranches de vie passées d'une justesse émouvante. 💚💚💚

Le docteur Jivago

 

Boris Persternak, Folio, 703 pages

De quoi s'agit-il?

Ma charmante, mon inoubliable ! Tant que les creux de mes bras se souviendront de toi, tant que tu seras encore sur mon épaule et sur mes lèvres, je serai avec toi. Je mettrai toutes mes larmes dans quelque chose qui soit digne de toi, et qui reste. J'inscrirai ton souvenir dans des images tendres, tendres, tristes à vous fendre le cœur. Je resterai ici jusqu'à ce que ce soit fait. Et ensuite je partirai moi aussi.

Ma petite bafouille:

Des personnages que je n'oublierai pas de sitôt. 💚💚💚

lundi 29 août 2022

Le kabbaliste

 

Patrick Levy, Pocket, 352 pages

De quoi s'agit-il?

Dans une " yeshiva ", lieu discret où l'on étudie la mystique juive, Patrick Levy rencontre un personnage hors du commun, rabbi Isaac Goldman, le Kabbaliste, dont il consigne méticuleusement l'enseignement année après année.
Ces extraordinaires tête-à-tête avec ce sage érudit sont autant de prétextes à approfondir les thèmes centraux de la mystique juive tels que la nature de Dieu, de la vie, du rapport aux autres, de la sexualité et la Shoah.
Patrick Levy fait d'un sujet ambitieux un ouvrage vivant, y compris dans l'humour. La kabbale cesse ici d'être une science ésotérique pour devenir un véritable art de vivre.

Ma petite bafouille:

Il est toujours intéressant de se plonger dans les pensées des anciens. Ce recueil offre une mine d'informations à méditer pour qui s'interroge sur Dieu, la vie et le monde.

Anéantir

 

Michel Houellebecq, Flammarion, 736 pages

De quoi s'agit-il?

La publication du roman de Michel Houllebecq aura lieu officiellement le 7 janvier. Dès le 30 décembre, pourtant, commencent à paraitre sur des sites européens, espagnols, suisses ou encore italiens, des comptes rendus du livre déjà annoncé comme l'événement littéraire de l'année 2022.

Il faut dire que le récit ménage de nombreuses surprises, comme celle de l'apparition d'un avatar réaliste de Bruno Le Maire dont le personnage principal du roman est l'un de ses conseillers, Paul Raison, un haut fonctionnaire de 47 ans.
Certains n'y vont pas de main morte, n'hésitant pas à écrire, comme Raffaele Alberto Ventura dans Domani, que, Houellebecq, avec ce nouveau livre, serait « le seul auteur capable d’imprimer sa marque sur ce quart de siècle. Comme en son temps Jean-Paul Sartre ou Goethe il y a deux cents ans »

Ma petite bafouille:

Quand on est fan d'un artiste, toute nouvelle production suscite beaucoup d'attente, ce qui paradoxalement peut desservir la perception que l'on a de l'œuvre - eh oui, il arrive d'être déçu! Ce n'est heureusement pas le cas de ce pavé dans la mare de la famille. L'auteur aborde plusieurs de ses sujets de prédilection, mais celui qui m'a vraiment touchée, c'est la fragilité de l'être. 💚💚💚💚

Tala Yuna

 

Charles Aubert, Slatkine et Cie, 320 pages

De quoi s'agit-il?

Jonas est un auteur à succès, mais il n'est pas heureux. Sa femme, Élisabeth, a claqué la porte brusquement, sa vie va prendre un nouveau tournant : il décide de partir sur les traces d'un père qu'il n'a jamais connu. Sur un bateau mené par deux frères que tout oppose, Jonas se lance dans une chasse à l'homme à travers les iles. Une quête identitaire entre terre et mer, au rythme du vent qui s'intensifie au fil du voyage. Il n'aurait jamais pu imaginer ce qui l'attendait : la rencontre d'une femme étrange et sauvage, la confrontation avec un père indifférent, la mort d'un ami tué de ses propres mains, et la traque qui allait en découler.

Ma petite bafouille:

Exit les polars aux titres colorés avec ce one shot d'ambiance bougrement efficace. Encore un roman de Charles Aubert qu'on ne lâche qu'après avoir lu le dernier mot. 💚💚💚

jeudi 28 juillet 2022

Du côté de chez Swann

 

Proust, Folio classique, 720 pages

De quoi s'agit-il:

Le Narrateur se souvient de l'enfant qu'il fut. L'attente du baiser maternel du soir, les déjeuners du dimanche chez tante Léonie, les cadeaux de la grand-mère. Il est fasciné par M. Swann, un ami de ses parents, amoureux fou d'une femme qui aime tout le monde sauf lui. Il tombe amoureux de sa fille, Gilberte, qui ne le rendra pas plus heureux. A travers ces scènes de vies - intimes ou mondaines, tragiques ou comiques - passent des impressions, des parfums, des visions. Des nymphéas à la surface d'une rivière, une madeleine oubliée dans une tasse de thé, des catleyas dans les cheveux d'une femme aimée, une bille d'agate offerte en gage d'amitié... Mais, une fois adulte, comment demeurer cet enfant émerveillé dans un monde que l'on ne reconnait plus, où l'amour est souffrance, où le désir est jalousie, où "le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant" ? Réminiscences de l'enfance perdue, roman d'amour impossible, satire de la haute société emprisonnée dans l'éphémère de la mode, mais aussi étude philosophique sur la mémoire involontaire : Du côté de chez Swann est tout cela à la fois. Qu'est-ce qu'un chef-d'œuvre ? Un palais du souvenir, aux mille portes d'entrée, où chaque lecteur éprouve une émotion singulière, toujours renouvelée.

Ma petite bafouille:


Dans tous les clubs de lecture que j'ai fréquentés, il y a toujours eu ce fameux moment où l'on mentionnait Proust… sans jamais l'avoir lu! En effet, après un rapide sondage, personne n'avait jamais mis le nez dans La recherche; de ce fait, je me suis toujours promis qu'un été, je me plongerai dedans.  

Réputé difficile d'accès, j'appréhendais les premières pages, que dis-je, les premières lignes! Finalement, tout s'est bien passé: il convient certes d'être concentré, car ce n'est pas une vue de l'esprit : les phrases sont longues, mais lorsque l'on est un bon lecteur, cela ne pose pas de difficultés particulières.

Ceci étant dit, j'ai fort apprécié le style.  Proust conçoit son univers comme un tout où se mélangent couleurs, sons, odeurs, etc. Tous les sens sont sollicités et s'amalgament pour évoquer l'enfance, un moment, une personne, une chose, un lieu, un mot. 

Je sais déjà quelle sera l'une de mes lectures de l'été 2023: À l'ombre des jeunes filles en fleurs !

Juive et républicaine, l'école Maïmonide

 

Joseph Voignac, L'antilope, 224 pages

De quoi s'agit-il:

“Après plus de cinq années de recherches, j'ai réuni un spectre suffisamment large de profils, d'expériences et d'opinions pour dévoiler l'histoire de l'école Maïmonide et ce qu'elle révèle de la diversité de l'existence juive en France depuis le début du XXe siècle.”
Joseph Voignac
Dans une démarche à la fois historique et sociologique, l'ouvrage retrace l'histoire de l'école Maïmonide, qui allie depuis presque 90 ans éducation républicaine et éducation juive.
Créée en région parisienne en 1935, elle a traversé les traumatismes et les bouleversements qui ont agité la vie et l'identité des Juifs en France tout au long du XXe siècle. Elle a vu passer des personnalités aussi différentes qu'Elie Wiesel, Serge Klarsfeld, Daniel Sibony ou Daniel Cohn-Bendit dont la mère y a été intendante.

Ma petite bafouille:

Totale découverte. En lisant la 4ème de couverture, je n'étais pas certaine de me passionner pour cet ouvrage, car le sujet me semblait relever d'une niche dans laquelle seuls les anciens élèves seraient heureux de mettre leur nez.

Dès les premières pages, j'ai été happée; impossible ensuite de lâcher ma lecture. Pourquoi? Parce qu'en dehors de nous conter l'histoire d'une école, l'auteur nous raconte l'évolution de la société française, ses changements de position envers les juifs, et les changements des juifs eux-mêmes amenés à réagir aux événements du temps. Cette double interaction est passionnante et rapportée de manière efficace. 

Mon premier coup de cœur de l'été !

Les affamés et les rassasiés

 

Timur Vermes, 10/18, 624 pages

Traduit de l'allemand par Mathilde Sobottke

De quoi s'agit-il:

Tourner une téléréalité dans un camp de réfugiés ? Une nouvelle satire grinçante par l'auteur de Il est de retour.

L'ambitieuse Nadeche Hackenbusch, présentatrice allemande d'un show téléréalité intitulé " Ange de la misère ", est envoyée en Afrique dans le plus grand camp de réfugiés du monde. Les premiers temps, tout fonctionne à merveille, l'argent coule à flots pour la boîte de production : la détresse des affamés émeut le public. Pour notre starlette, c'est " Rendez-vous en terre inconnue ", et elle vaque, conquise, à ses nouvelles occupations : aller chercher de l'eau et du bois, visiter un hôpital, faire la cuisine avec une famille de migrants.
Mais quand la belle tombe amoureuse d'un certain Lionel, et que ledit Lionel ne rêve que d'une chose, quitter le camp et rejoindre l'Allemagne, les choses se compliquent. Et elles se compliquent plus encore quand Lionel décide d'organiser une gigantesque marche de migrants pour l'Europe.
Une horde d'envahisseurs venus d'ailleurs prêts à franchir les portes de l'Europe et de l'Allemagne ? Jamais ! Les politiciens tentent de trouver des solutions : fermer les frontières ? Construire un mur ? Et puis, bien sûr, tout dérape.

Ma petite bafouille:

J'ai moins accroché que pour Il est de retour. Il faut dire que les occidentaux présentés sont particulièrement exaspérants, mais on est dans une satire, ont doit passer outre pour accéder au message porté par le texte. Je n'ai néanmoins pas boudé mon plaisir. La fin oscille entre le tragicomique et le gore. Âmes sensibles, vous êtes prévenues!

Helena Rubinstein, la femme qui inventa la beauté

 

Michèle Fitoussi, Le Livre de Poche, 608 pages


De quoi s'agit-il:

Avant d'incarner une marque de cosmétiques, Helena Rubinstein eut un destin. Et quel destin, quelle incroyable aventure ! On connaissait la milliardaire couverte de bijoux peinte par Dalí ou Picasso, l'impératrice de la beauté, mais que savait-on que cette «Hearst à l'échelle féminine»? Née en 1872 dans le quartier juif de Cracovie, aînée d'une famille de huit filles, Helena sut dire non aux conventions. Elle resta libre et imposa sa vision. De l'Australie, où elle s'exila à l'âge de 24 ans, à New York où elle mourut princesse cosmopolite à 93 ans, la vie d'Helena Rubinstein fut un roman. Un roman où se croisent tous les talents de l'époque, de Poiret à Chanel en passant par Louise de Vilmorin, une saga éblouissante, faite de krachs boursiers et de chagrins d'amour, de drames conjugaux et de diamants croqués.

Ma petite bafouille:

J'ai lu ce livre dans le cadre d'un club de lecture.

Je ne suis pas fan de ce genre de sujet. Après un début qui a réussi à m'intéresser, j'ai vite décroché, malgré la qualité littéraire du texte.


De tes yeux, tu me vis

 

Sjón, Rivages, 320 pages

Traduuit de l'islandais par Eric Boury

De quoi s'agit-il?

En un lieu non précisé - on imagine que c'est en Islande, à moins qu'il ne s'agisse d'un de ces non-lieux qu'on rencontre dans certains textes de théâtre moderne - un narrateur raconte à son amie l'histoire de son père, un Juif allemand, échappé d'un camp de concentration et rattrapé par deux individus dont on ignore la qualité et les motivations, mais qui souhaitent manifestement découvrir un secret dont ils le croient détenteur. Cet homme dont on ne connaît pas le nom est déposé par les deux individus dans le cellier d'une pension de famille et sera sauvé par les occupants de l'établissement. A l'intérieur d'un espace dissimulé entre les cloisons de deux chambres, celui que tous les autres personnages appellent le malheureux va vivre quelques jours seul à seul en compagnie de Marie-Sophie, une jeune femme chargée de le soigner et ils vont fabriquer ensemble un enfant d'argile qui deviendra le narrateur.
Le lecteur fait graduellement connaissance avec les habitants du village et ceux de la pension Vrieslander : un serveur, une cuisinière, un patron alcoolique et sa femme matrone, un commis adolescent et taraudé par le désir, un vieillard concupiscent, le petit ami de Marie-Sophie. Parallèlement, Sjón nous emporte dans d'autres histoires : il mêle à cette trame historique des récits populaires, des contes rédigés sur un mode parodique, il y intègre le « relevé des rêves » des habitants de la petite ville de Kükenstadt dont il retrace les origines pseudo-mythiques avec beaucoup d'humour, des textes aux résonnances bibliques, des chansons, des histoires d'anges, d'archanges et d'anges déchus, des parodies de psaumes...

Le sujet est grave. Nous sommes plongés dans l'atmosphère de l'Allemagne nazie : nous reconnaissons certains personnages historiques sans qu'ils soient directement nommés, nous naviguons entre les références picturales à l'art « dégénéré », celles cinématographiques à M le Maudit de Fritz Lang, celle, biblique, au mythe du golem : tout cela est suggéré, jamais nommé.

Ma petite bafouille:

Seconde tentative avec cet auteur. Encore une fois,  le sujet m'intéresse, hélas, je n'ai toujours pas accroché. De ce fait, je ne lirai pas Sur la paupière de mon père du même auteur, et qui attendait son heure dans ma bibliothèque.

Blond comme les blés

 

SjÓn, Métaillé, 128 pages

Traduit de l'islandais par Eric Boury.

De quoi s'agit-il:

Reykjavik, après la Seconde Guerre mondiale.
Gunnar Kampen est un « un jeune homme travailleur et attentif qui se passionne pour l’histoire de l’humanité et de sa nation ». Il a une mère et deux sœurs qui l’aiment depuis l’enfance et lui-même est un frère et un fils attentionné.
Au printemps 1958, il fondera le parti politique antisémite des nationalistes et se dévouera pour contribuer à l’organisation internationale du mouvement néonazi, en pleine croissance.
Dans un texte qui oscille entre une mosaïque d’images d’enfance poétiques, un recueil épistolaire qui suit l’évolution d’un engagement politique et la création d’un parti d’extrême droite, Sjón examine le parcours d’une vie, d’une époque et d’une radicalisation rythmée par la simplicité absolue de son quotidien.
Faux thriller où le protagoniste est retrouvé mort dès le premier paragraphe, Blond comme les blés est une œuvre limpide, un écho de la banalité du mal d’Hannah Arendt sous les apparences d’un roman nordique. Un livre troublant et terriblement actuel par l’un des plus importants auteurs islandais contemporains.

Ma petite bafouille:

Malgré un sujet qui me passionne, je n'ai pas accroché.

La stupeur

 

Aharon Appelfeld, L'oliver, 256 pages

Traduit de l'hébreu par Valérie Zenatti

De quoi s'agit-il:

Un matin, Iréna découvre ses voisins juifs alignés devant l'entrée de leur magasin. Un gendarme les tient en joue : ordre des Allemands. Le lendemain, ils sont agenouillés, brutalisés, avant d'être assassinés. Leur magasin est pillé. Dans ce village ukrainien, la catastrophe est en marche, et elle provoque chez la jeune paysanne un sursaut. L'effroi de ne pas avoir pu secourir ses voisins se double de celui que lui inspire son mari, une brute qui la maltraite. Il faut partir.
Commence alors une longue errance aux accents prophétiques. De village en village, Iréna proclame que le Christ était juif, et que lever la main sur ses descendants est un crime inexpiable. Menacée par les hommes et protégée par les femmes – paysannes, aubergistes ou prostituées –, Iréna accomplira son destin jusqu'au bout.
« L'Histoire est un cauchemar dont je cherche à m'éveiller », a écrit James Joyce.
Dans ce dernier roman publié de son vivant, Aharon Appelfeld relève le défi : La Stupeur plonge ses racines dans ce qu'il y a de plus archaïque en l'homme – la soif de détruire et le besoin de réparer.

Ma petite bafouille:

Ca devient difficile d'être objective : je suis vraiment très admirative du travail de cet auteur qui ne m'a jamais déçue.

dimanche 1 mai 2022

Motl fils du chantre

 

Sholem-Aleikhem, L'antilope, 288 pages

Roman traduit du yiddish par Nadia Déhan-Rotschild et Evelyne Grumberg

De quoi s'agit-il?

Ce roman est l’un des grands classiques de la littérature yiddish. Des générations de Juifs d’Europe orientale et de nombreux Juifs immigrés en Europe occidentale ou en Amérique se sont identifiés à Motl. Il s’agit d’un petit bijou d’humour et de sensibilité.

Mon sentiment:

L'auteur brosse ici les joies et les désagréments de la vie d'une famille yiddish à un moment où, pour bon nombre d'entre elles, l'Amérique était le rêve à atteindre.

Je trouve l'écriture très visuelle. On s'imagine si bien les scènes que l'auteur décrit: les déboires du grand frère pour gagner de l'argent, la mère qui pleure à tout bout de champ, la famille qui court d'un comité à l'autre pour recevoir l'aide aux réfugiés, etc. Toutes ces scènes sont plantées avec un humour décalé; on est dans un film des Marx Brothers ! Cela m'a fait un bien fou.

En résumé, une histoire pleine de vie et de rebondissements contée à hauteur d'enfant qui parle à tous les âges. 😉

Heimat

 

Nora Krug, Gallimard BD, 288 pages

Traduction: Emmanuelle Casse-Castric

De quoi s'agit-il?

Depuis longtemps, Nora Krug ressent que le simple fait d'être citoyenne allemande la relie à l'Holocauste, lui interdisant tout sentiment de fierté culturelle. Après douze ans passés aux États-Unis, et alors qu'un non-dit plane sur la participation de sa famille à la guerre, elle part à la recherche de la vérité… Entre bande dessinée et album photo, une enquête intime stupéfiante au cœur de l'Allemagne nazie.

En bref…

Une extraordinaire plongée dans les tourments d'une citoyenne allemande moderne dont les ancêtres ont traversé l'ère nazie. 

Lorsque la famille est éclatée, que le récit familial laisse planer des zones d'ombre, il est légitime de se poser des questions sur le comportement de ses ancêtres pendant cette période. L'enquête que mène l'auteure est faite de rencontres, de voyages et d'archives. Ses sentiments évoluent, ses doutes aussi... 

Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu un roman graphique aussi captivant !

lundi 25 avril 2022

Dona Gracia Nasi

 

Cecil Roth, Liana Levi, 240 pages

Traduit de l'anglais par Claude Bonnafont

De quoi s'agit-il?

Siècle des découvertes des horizons qui s’ouvrent, des épices exotiques importées d’Orient, des femmes célèbres, le XVIe siècle est aussi celui de l’intolérance et de l’Inquisition. Doña Gracia, grande dame de la Renaissance, vit cette double réalité. Issue d’une famille de marranes, elle dirige la «banque» Mendes, rivale de celle des Médicis, et doit quitter le Portugal. À Anvers elle fréquente la cour de Charles Quint. Rois et princes empruntent à la banquière et utilisent sans scrupules le chantage à l’Inquisition. Doña Gracia joue avec le feu, car ses agences servent de relais aux marranes en fuite. Jusqu’au jour où le danger devient trop pressant. Alors commence son périple: Lyon, Venise, Ferrare, et pour finir Istanbul, où Soliman le Magnifique l’accueille et la protège. De la Corne d’or, elle prononce le boycott d’Ancône, port des états pontificaux, coupables d’avoir mis les Juifs au bûcher. Pour la première fois dans l’histoire, les Juifs se dressent face à la persécution, sous la bannière d’une femme…


Mon sentiment:

Un livre d'historien dont la forme m'a laissée de marbre. 

dimanche 27 mars 2022

La petite coriace

 

Anne Loyer, éditions Anne Carrière, 208 pages

De quoi s'agit-il?

À dix ans, Marinette, délaissée par ses parents, passe ses journées seule sur la plage. Sa mère vient de quitter le domicile conjugal avec le voisin et son père se réfugie dans son boulot de flic pour évacuer son mal-être. Lorsque Barnabé, qui travaille dans un grand magasin, la déniche au fond d’un caddie, il est loin de s’imaginer à quel point elle va faire ressurgir un passé qu’il pensait profondément enfoui. Il la ramène chez Gaby, sa tante, avec laquelle il vit. La gamine bouscule immédiatement leur quotidien. Car Marinette, sans s’en rendre compte, ravive le souvenir brûlant d’Anna, la petite sœur chérie de Barnabé, disparue vingt-cinq ans plus tôt lors d’un terrible accident. Sa présence aussi légère que solaire va leur rendre l’espoir d’un avenir meilleur. Le deuil en suspens de Barnabé et Gaby peut enfin s’effectuer. Le père de Marinette, consumé par la culpabilité, prend alors une décision radicale. Un choix qui va remettre en question le futur de la petite coriace et de ses nouveaux amis.

En deux mots, à chaud:

C'est la première incursion dans l'univers de la fiction adulte d'Anne Loyer, mais ceux qui ont déjà lu ses livres jeunesse retrouveront sa patte inimitable, ce style écorché qui dénonce avec violence les travers de notre société.

Cette semaine, avec un groupe d'amis, nous étions penchés sur Sagesse 9, 1-18, et nous en sommes venus à évoquer Le cri de Munch. C'est ce même tableau qui me vient à l'esprit après la lecture de La petite coriace. En lisant ce texte, j'ai eu l'impression d'un long cri lancé à la face du monde, un cri qui alerterait sur les fragilités de l'enfance, et qui nous dirait: attention, l'enfance est un trésor, arrêtez de la brutaliser et comportez-vous en adultes responsables !


dimanche 20 mars 2022

Petites boîtes

Yôko Ogawa, Actes Sud, 208 pages

traduit du japonais par Sophie Refle

De quoi s'agit-il?

La narratrice de ce livre vit dans une ancienne école maternelle. Tout y est petit, au format de ceux qui autrefois la fréquentaient. Cette femme accorde en ces lieux fossiles une attention très particulière à l’une des pièces, un endroit de mémoire où sont déposées d’étranges petites boîtes.
Parfois cette dame marche dans la nuit en compa­gnie d’un certain M. Baryton, un homme charmant pour lequel elle déchiffre des messages. M. Baryton voit clair pourtant mais ce sont les mots de son aimée qui semblent s’amenuiser sur le papier en même temps qu’elle.
Certains soirs sur la colline, aux abords de la ville, des inconnus attendent le passage d’un souffle, d’un brin de vent. La dame de l’école maternelle sait qu’ils écoutent en pleine nature une musique inaudible pour tout autre qu’eux-mêmes, un chant issu du lointain. Une présence absente.
Ne lisez pas les livres de Yôko Ogawa sans écouter chaque phrase, sans entendre ses mots et l’écho qu’ils produisent. Si vous leur accordez une réelle attention, leur sens se dépliera littéralement sous vos yeux.


L’œuvre de Yôko Ogawa est mondialement connue. Petites boîtes est son vingt-sixième livre traduit en français.

Spontanément, je dirais:

L'auteure poursuit son travail sur la mémoire avec une histoire onirique et poétique où bien des choses demeurent sans réponses, comme dans la vie en fin de compte.
Chacun peut envisager le récit selon son propre vécu (relations parents / enfants, rapport des parents au deuil d'un enfant, empreinte de notre enfance sur notre vie d'adulte, importance des lieux de mémoire, etc.) et y puiser inspiration et apaisement. Original et sublime !

Bal tragique à Windsor

 

S.J. Benentt, Les Presses de la Cité, 280 pages

Traduit de l'anglais par Mickey Gaboriaud

De quoi s'agit-il?

Windsor, printemps 2016. La reine Elizabeth II s'apprête à célébrer ses 90 ans et attend avec impatience la visite du couple Obama. Mais au lendemain d'une soirée dansante au château, un pianiste russe est découvert pendu dans le placard de sa chambre, quasiment nu. Shocking!

Lorsque les enquêteurs commencent à soupçonner son personnel d'être impliqué dans cette sordide affaire, Sa Majesté, persuadée qu'ils font fausse route, décide de prendre les choses en main. Mais être reine a ses inconvénients, et notamment celui de ne pas passer inaperçue. C'est donc Rozie, sa secrétaire particulière adjointe, qui va l'aider à démêler ce sac de nœuds God save the Queen du cosy crime !

Quelques réflexions…

Ce livre m'a été offert à Noël. Je ne m'attendais pas à ce que l'on m'offre ce genre d'ouvrage à mille lieues de mes habitudes de lecture. J'ai trouvé le style solide, ce qui est important pour moi et m'a fait poursuivre la lecture jusqu'au mot de la fin. J'ai été un peu désorientée par la conclusion (tirée par les cheveux en nous sortant du chapeau un personnage hors des radars narratifs), mais peut-être est-ce raccord avec l'esprit des affaires du Royaume, je suis assez mal placée pour juger.

lundi 28 février 2022

Possession

 

Moka, L'école des loisirs, 192 pages

De quoi s'agit-il?

En achetant la plus belle maison du quartier, les Vendôme pensaient avoir fait une bonne affaire et s'étaient réjouis d'y emménager avec leurs trois enfants. Une nuit, le pire est arrivé. Leur fille Lucrèce s'est jetée du toit, sous les yeux de Malo son petit frère. Traumatisé, le garçon a passé deux mois en hôpital psychiatrique. Depuis son retour, Malo a l'impression que la maison lui joue des tours et s'en prend à lui. Ses affaires changent de place, les murs de sa chambre font des gargouillis, les poignées de porte disparaissent. Même ses parents deviennent bizarres et vivent de plus en plus confinés. Malo est persuadé que la maison dans laquelle sa famille vient d'emménager est malfaisante. Elle les a pris au piège. Un piège mortel...

Spontanément, je dirais…

Bien ficelé et addictif.

dimanche 20 février 2022

Le silence est d'or

 

Yonatan Sagiv, 432 pages, L'antilope

Traduit de l'hébreu par Jean-Luc Allouche

De quoi s'agit-il?

Dans ce deuxième volet des aventures policières d’Oded Hefer, le détective privé assume toujours sa vie de gay tel-avivien avec intelligence, humour et autodérision. Il fait pénétrer le lecteur dans un établissement pour personnes âgées avec tout ce que cela comporte de charge émotionnelle, dans un pays constitué de tant de gens venus d’ailleurs.

Spontanément, je dirais:

Hormis les enquêtes orchestrées par Dror Mishani, je ne lis quasiment pas de littérature policière.

La découverte de Secret de Polichinelle, le premier opus des aventures d'Oded Hefer, m'avait quelque peu déstabilisée, principalement à cause du style: abondance d'adjectifs, de superlatifs, de comparatifs - et bien d'autres réjouissances en if. Passé le moment de stupeur stylistique, je résumerais le livre ainsi: jouissif !

Aussi ai-je été heureuse de replonger dans ce marathon de mots, avec ses personnages interlopes et ses situations improbables, à la suite d'Oded Hefer, détective haut en couleur, et pour dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, j'ai encore plus apprécié ce deuxième volet. La forme, j'y reviens, est brillante - le traducteur ne l'est pas moins ! - et le fond, une sacrée claque. Mais chut !... Le silence est d'or et je ne peux que vous encourager à découvrir ce qui se trame par vous-mêmes.

lundi 31 janvier 2022

Les partisans

 

Aharon Appelfeld, 336 pages, Points

traduit de l'hébreu par Valérie Zenatti

Présentation:

Après son évasion d'un camp, le jeune et intrépide Edmund s'est réfugié auprès d'un groupe de partisans. Ces résistants juifs survivent en territoire occupé. Organisés autour de leur chef Kamil et de la vieille Tsirel, ils sont bien davantage que des âmes en sursis. Ils tendent des embuscades aux Allemands, font dérailler leurs trains, et entretiennent l'espoir grâce à la prière et à la fraternité

Spontanément, je dirais…

Encore une fois, Aharon Appelfeld façonne des personnages inoubliables. Pendant la seconde guerre mondiale, une communauté juive se reconstitue dans les bois et lutte pour sa survie. En s'interrogeant sur ses traditions, chaque partisan sauvegarde sa part d'humanité. Puissant et magnifique.

Un livre dans lequel j'ai encore beaucoup à creuser et que je relirai avec plaisir et émotion.

A la fleur de l'âge

 

Samuel Joseph Agnon, Gallimard, 120 pages

Traduit de l'hébreu par Laurent Schuman

De quoi s'agit-il?

La jeune Tirtza a vu sa mère Léa brûler une liasse de lettres, peu de temps avant sa mort, « à la fleur de l'âge ». Inconsolable, Tirtza cherche à comprendre le destin de sa mère, sa mélancolie, sa mort prématurée, et le mystère des lettres. Elle se tourne alors vers Mintchy, la meilleure amie de sa mère, et petit à petit, une autre histoire surgit : celle de l'amour de Léa pour Akavia Mazel, intellectuel viennois échoué dans cette bourgade aux confins de l'Empire austro-hongrois, à qui le père de Léa a refusé la main de sa fille. Derrière l'apparente simplicité des mots d'une jeune fille endeuillée, À la f1eur de l'âge s'impose comme un livre inoubliable sur l'amour et la souffrance humaine, alliant une réflexion sur le destin et le conflit entre tradition et modernité à une langue d'une grande beauté, puisée aux sources bibliques. À la fleur de l'âge est assurément un joyau légué à la littérature mondiale.

Spontanément, je dirais :

Suite à la lecture d'Histoire d'une vie  dans lequel il est mentionné, j'ai eu envie de lire ce court roman. Je n'avais jamais lu cet auteur, pourtant prix Nobel de littérature. J'ai beaucoup aimé sa façon discrète d'aller à l'essentiel.

mercredi 26 janvier 2022

L'habit ne fait pas le moine

 

Philip Roth, Folio, 120 pages
traduit de l'anglais par Céline Zins

Présentation:

Le sergent Marx, de retour d'Europe en 1945, est affecté dans une compagnie d'instruction où il a sous ses ordres un jeune soldat juif, Sheldon Grossbart. À sa demande, Marx intervient pour que les Juifs de la Compagnie puissent se rendre à la synagogue le vendredi soir. Peu à peu, il se rend compte que le jeune soldat le manipule...Dans la banlieue de New York, un jeune garçon en première année de «high school» se lie d'amitié avec deux fils d'immigrants italiens, Albie Pelagutti et Duke Scarpa, promis à un brillant avenir de gangsters. Quinze ans plus tard, il se souvient...

Spontanément, je dirais…

J'ai lu ce livre dans le cadre du club littéraire du CCJ Simone Veil de Montpellier

Je n'ai jamais été fan de nouvelles, aussi lorsqu'il a été question de lire ces deux nouvelles de Philip Roth dans le cadre du club littéraire, je me suis demandé si elles allaient me plaire. J'avais encore en mémoire certains romans de l'auteur (Le complot contre l'Amérique, La tache, J'ai épousé un communiste, Pastorale américaine) qui m'avaient emballée. Dire que j'ai été gagnée par l'enthousiasme serait mentir, cependant, j'ai trouvé le propos de ces deux textes plutôt subtil. Lors de nos débats, nous nous sommes particulièrement attardés sur la première nouvelle dans laquelle j'ai apprécié la dextérité de l'auteur à décortiquer le mécanisme de la manipulation.